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Alice Barbe
Jean-Baptiste de Foucauld
Pierrick Judéaux
Olivier Lebel
2017-09-12 diversite_culturelle LAutre est souvent plus proche de nous que lon ne limagine.
Diversité culturelle

LAutre

Il y a tant de belles histoires interculturelles où nous créons par la richesse mutuelle. Inna est coach sportive, elle a fait ses classes dans le fitness et lathlétisme. Elle est arrivée en France avec pour seul bagage son histoire, son militantisme, sa hargne contre Poutine et sa dictature. Pharmacienne, elle a choisi de faire du sport sa nouvelle vie professionnelle. Elle a intégré une association, SINGA pour y créer des programmes sportifs afin de générer des rencontres entre personnes réfugiées et citoyens locaux, autour du sport, sa passion, et surement celle de dizaines de milliers de personnes.

Inna a fait plus que créer du lien : elle a profondément « hacké » le système daccueil des personnes en exil, le bénévolat traditionnel, le paradigme bénévole/bénéficiaire. En effet, elle a uni les gens autour du sport. Les « bénévoles » ne viennent plus pour aider « un pauvre réfugié », ils viennent faire un foot, du yoga, de la course. Les « bénéficiaires » ne viennent pas pour quon les aide à trouver logement, remplir des formulaires CAF ou CPAM, ou apprendre lutilisation de lauxiliaire être ou avoir, ils viennent se faire des potes, se dépenser, découvrir la France, celle qui court, se marre, marque un but ou se relaxe.

Limpact social de linitiative dInna est énorme, et tellement facile. Inna nest pas, nest plus la réfugiée russe. Elle est chargée de programme et rencontre chaque jour des dizaines de personnes à qui elle parle de sport. Elle favorise les rencontres autour dactivités communes qui les valorisent les différents participants, qui deviennent alors des inspirations positives mutuelles. Ainsi, ceux qui en ont besoin pratiquent le français, ceux qui le souhaitent peuvent réaliser une carrière de coach sportif, et ceux que la couverture médiatique sur la vague migratoire alarmaient réalisent quune relation interpersonnelle avec une personne réfugiée est plus éclairante quune multitude de reportages parfois, voire trop souvent biaisés. 

LAutre quest Inna et que sont les réfugiés au regard des sociétés daccueil, et plus globalement toute personne qui ne rentre pas dans la norme culturelle dominante telle que chacun la conçoit, ne demande quà être révélé. Encore plus aujourdhui, à lheure où 400 millions de personnes sont déplacées de force dans le monde, où petit à petit nous allons faire face aux migrations climatiques, et où la mobilité permet de faire le tour du monde en quelques heures.

LAutre est souvent plus proche de nous que lon ne limagine, relégué par nous-même de lautre côté dune frontière largement artificielle, au sens figuré comme littéral, géographique à limage du périphérique parisien qui demeure pour tant de personnes, de chaque côté, une frontière, sinon infranchissable, du moins souvent infranchie.

Peur et richesses

Le monde actuel multiplie les opportunités de rencontres avec des gens différents (sociétés plus diverses, flux de population croissants, réseaux sociaux) et les richesses culturelles et économiques quengendre la diversité sont plus visibles que jamais. Aux États Unis, 60% des 25 plus grandes entreprises high tech ont été créées par des immigrés ou des enfants dimmigrés.

Mais la peur de lAutre demeure. Nourrie par des inégalités profondes, des angoisses économiques et identitaires. Dans un monde en profond bouleversement où la quête de sens est complexe, nous nous réfugions trop souvent dans une vision unidimensionnelle de lidentité. Voir lautre et en particulier la différence de lautre à travers un unique prisme effraie et ne révèle que conflit et incompréhension. Même quand on pense « bien faire », le piège reste présent. Si lon se surprend à ne considérer le réfugié que sous langle de « celui à qui lon donne », on oublie alors que Marcel Mauss nous a appris que léchange se réalisait par le triptyque « donner, recevoir et rendre ». Omettre lune de ces trois composantes, cest aliéner lautre.

Un futur commun

Nous voulons être capable de rêver ensemble un futur commun et souhaitable. Nous voulons construire des projets et un futur ensemble. Face aux forces déshumanisées du marché et du pouvoir des élites aveugles, notre capacité à changer le monde dépend de notre capacité à créer du lien. La connaissance mutuelle est essentielle ; elle sacquiert par la connaissance des histoires et des cultures.

Mais il nous faut accepter nos propres faiblesses. Ne pas les reconnaître cest ériger des forteresses qui, lorsquelles sont attaquées, entraînent des réactions violentes. Lacceptation sans complaisance de notre propre fragilité et vulnérabilité est un levier de connaissance qui nourrit une relation enrichie avec autrui. Et il nous faut parfois changer de posture, prendre le temps, suspendre notre jugement, accepter de ne pas comprendre pour peu à peu apprendre à écouter et à comprendre (les codes, les symboles et les perceptions de chacun).

« On comprend lautre avec ce que lon a de faible, et on laide avec ce que lon a de fort »
(Jean-Baptiste de Foucauld, Avril 2017, aux Treilles)

La fabrique dun présent et dun futur en commun et la création du lien passe par la fraternité (« vivre avec des gens que lon na pas choisi »). Noublions pas cette grande oubliée de la devise Républicaine :

La solidarité institutionnelle et mécanique, celle de la redistribution monétaire, est indispensable, mais elle ne suffit plus et peut légitimer si lon ny prend garde un individualisme qui peu à peu la ronge. La fraternité nest pas la cerise sur le gâteau de la solidarité, elle en est la source et la concrétisation. Elle constitue le principe régulateur dune liberté qui ne dégénère pas en égoïsme et dune égalité qui ne se confond pas avec luniformité.

Plus on crée du lien, plus on a dhistoires positives, plus la compréhension individuelle et le débat public sont enrichis jusquà renverser le paradigme et passer dune représentation stéréotypée et unidimensionnelle à une multitude de représentations réalistes.

Et demain, que puis-je faire ?

Le propos nest pas ici de penser à des solutions politiques ou institutionnelles mais de partager des idées simples, concrètes pour que chacun, sil le souhaite, puisse apporter sa contribution à cette multitude dhistoires et ce changement de manière de voir.

  • Racontez des histoires. Celles de personnes dun univers culturel différent que vous connaissez pour faire rêver, étonner et valoriser et racontez les vôtres, à ceux qui viennent dun autre pays ou dun autre milieu.

  • Regroupez autour dintérêts communs pour créer du lien par le faire-ensemble (cuisiner et manger, danser, faire de la musique, marcher) ou rejoignez une communauté qui crée ces liens comme les 25000 membres de Singa.

  • Organisez-vous pour venir en aide aux personnes en situation de fragilité, moins différentes en apparence, mais souvent rongées de lintérieur, comme par exemple les personnes en situation de chômage de longue durée1.

  • Partez à laventure, jusquen bas de chez vous ou dans la ville à coté et mettez-vous en situation dêtre lAutre.

  • Cherchez et (re)trouvez ce Commun qui unit les différentes spiritualités et fait de chacune un chemin particulier, mais convergent, vers lUniversel, cet universel où la diversité, loin dêtre une menace, est un enrichissement de la Totalité.

  • Révélez vos richesses à travers les autres. Plus personne ne peut aujourdhui, sans dommage grave pour elle-même ou pour ses proches, faire léconomie de la recherche du sens. Celui-ci nest plus donné, il est à construire et cette construction passe par la rencontre. Et plus on se situe dans une tradition particulière, plus souvrir et sintéresser aux autres révèle les richesses apparentes, mais souvent aussi cachées, de nos propres histoires, de nos cultures et de nos trajectoires individuelles et familiales.



  1. Voir par exemple lexpérience de Solidarités nouvelles face au chômage <www.snc.asso.fr> ↩︎