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post Game Changer
Alexandre Delanoë
2017-09-12 game_changer On parle beaucoup dintelligence émotionnelle (le QE au lieu du QI), mais il existe de nombreuses autres formes dintelligences...
Game Changers

On parle beaucoup dintelligence émotionnelle (le QE au lieu du QI), mais il existe de nombreuses autres formes dintelligences aujourdhui reconnues par les chercheurs (étymologiquement, inter-legere signifie lire entre les lignes, relier) : spatiale (le conducteur de Formule 1 qui mémorise et anticipe les virages du circuit), musicale, kinesthésique, visuelle…

Pour commencer, le jeu

Super Tux (https://supertuxproject.org/) est un jeu développé au début des années 2000, installable sur un système d'exploitation alternatif développé et édité par des communautés de bénévoles comme Debian GNU/Linux (https://www.debian.org/social_contract).

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Super Tux ressemble à sy méprendre à un célèbre jeu commercialisé par la société Nintendo. Seuls les couleurs et les personnages ont changé : au plombier est substitué un manchot qui est la mascotte du logiciel libre.

Super Mario a dressé et activé plusieurs générations de neurones. Ayant joué de nombreuses heures, et avec la force de lâge, ladulte que je suis devenu apparaît confiant dans lunivers Super Tux. Lavatar avance victorieusement dans un espace dont je connais bien le chemin après de nombreuses tentatives sur le modèle initial : les astuces, les dangers, le joueur se les rappelle sur le bout des doigts. Je dirige donc Super Tux en écrasant les monstres, en sautant et récupérant les points avec vélocité.

Puis, surprise ! Je découvre un mur, cest une difficulté qui nexistait pas dans le jeu initial. Je mattendais à une copie mais je découvre une impossibilité. Ce nest pas un bug, mais un véritable mur dans ce monde, une masse solide et infranchissable. Même en prenant son élan, lavatar ne franchit pas cet obstacle, ni par au-dessus, ni par en dessous. Je cherche désespérément lastuce, la porte dérobée, la clef invisible qui lui permettra de passer au niveau suivant.

Las, jai d'abord abandonné à ce stade, ne comprenant pas lintérêt de cette mauvaise blague. À quoi sert un tel jeu ? Plus tard, à force de persévérance et avec un peu de chance, jai découvert quil existait un mode édition du jeu.

Effectivement, en appuyant sur la touche « Echap », le joueur séchappe du monde « jeu », quitte le statut de simple joueur et passe de lautre côté de la matrice. En découvrant ce mode édition, quelques outils deviennent disponibles : une gomme, des palettes dobjets, des monstres…

Surtout, le compte à rebours est arrêté, le temps du jeu nexiste plus, lespace se dilate : le créateur perçoit lunivers dans sa totalité avec ses moindres secrets. Le concepteur peut ainsi gommer la partie inférieure du mur. Le jeu nest en réalité pas une copie : le jeu consiste à faire le jeu, dans lesprit du « do-it-yourself ». Le jeu consiste à sortir du mode « jeu » pour changer les règles, hacker le code en quelque sorte. Un jeu ne se consomme donc pas seulement, il est possible den devenir créateur et concepteur. Cette expérience fait donc apparaître un autre référentiel par rapport au jeu : casser les codes.

Passer de lautre côté de la matrice ?

Dautres expériences digitales existent et dautres manières de passer de lautre côté de la matrice aussi. Prenons lexemple de la recherche dinformation. Il y a quelques années, nous recherchions quotidiennement dans un dictionnaire la définition dun mot, plus tard nous avons plutôt utilisé des moteurs de recherche. Prenons lexemple du dictionnaire pour définir ce quest un algorithme.

Lalgorithme de la recherche dun mot dans un dictionnaire suppose dabord la connaissance de lordre alphabétique. Cest en cours élémentaire, vers lâge de 7 ans, que la pratique de la recherche dun mot dans un dictionnaire peut être apprise. Pour un mot donné, supposons « algorithme » (et non « logarithme », qui est la fonction inverse de « exponentiel »), recherchons ce terme dans le dictionnaire. À droite ou à gauche suivant lordre alphabétique de la première lettre selon la page ouverte devant soi puis à gauche ou à droite suivant la seconde lettre du mot que lon cherche et la page devant soi, etc. Jusquà atteindre le terme, sa définition, la lire, éventuellement la comprendre pour décider de lutiliser ou pas.

Je définis lalgorithme comme une séquence de règles de mouvements pour décider, exactement comme nous dirigeons Super Tux et Super Mario. Pour le dictionnaire, cest droite/gauche selon les lettres du mot comparé à la lettre de la page courante pour terminer quand le mot égale celui que lon cherche.

Pour un dictionnaire, laffaire semble à peu près conclue. Mais quen est-il de la recherche dans un moteur de recherche ? Autant nous nutilisons plus trop le dictionnaire, en revanche, nous utilisons un moteur de recherche plusieurs fois par jour. À partir dune équation de recherche insérée dans un espace vide, en exécutant la touche magique « entrée », le résultat apparaît dans une liste hiérarchisée de réponses pertinentes selon la recette algorithmique du moteur consulté.

Dans son exploration des connaissances digitales, linternaute utilise un moteur de recherche pour sorienter face à la concurrence des dictionnaires et de leurs définitions. Connaît-il pour autant le mécanisme (algorithme) qui lui permet de discriminer les définitions entre elles ?

Quelle est cette recette pour choisir les dictionnaires et leurs définitions éventuelles ? La question posée à des étudiants après bac dans les années 2010, laisse apparaître des surprises : rares sont les réponses précises et justes. Rapidement, les étudiants dénoncent la boîte noire et critiquent un secret jalousement gardé… Comme je lai entendu auprès de décideurs adultes dans un séminaire : « De toutes les façons, le page rank nest plus utilisé. »

Comment ne pas savoir exactement ce qui nous permet de décider tous les jours ? Le système de référencement et les citations permettent de hiérarchiser les sites entre eux, même si lentreprise rajoute des couches dintelligence, peut-on vraiment faire léconomie d'une culture G des algorithmes (du page rank par exemple) ?

La quadrature du Net a mis en place un méta-moteur de recherche, Searx https://searx.laquadrature.net/, qui non seulement respecte la vie privée de ses utilisateurs mais en plus propose la moyenne des résultats dune requête réalisée dans tous les moteurs de recherche que lutilisateur décide dactiver. Lalgorithme est clair : il sagit de la moyenne des scores obtenus dans tous les moteurs de recherche. Après plusieurs mois dusage de ce méta-moteur, je me suis rendu compte du pouvoir normatif de lalgorithme : le moteur de recherche que je croyais indépassable en termes de pertinence et de qualité de la recherche était efficace aussi parce que je métais habitué à son comportement. En dautres termes, je me suis habitué à ses résultats qui me confortaient dans des prédictions auto-réalisatrices et qui accroissaient ma dépendance cognitive.

Javoue donc ma dépendance cognitive majeure à cette liste hiérarchisée et sponsorisée de résultats orientés selon une formule magique et secrète. Jai en effet pris plaisir à découvrir le chemin au fur et à mesure que je le parcourais. Cette approche a favorisé la découverte de lieux digitaux. Jai longtemps pratiqué la balade dans le web avec ces boussoles numériques que sont les moteurs de recherche.

Construire soi-même sa carte du territoire

Mais n'est-il pas temps de construire la carte des territoires numériques que nous avons parcourus ?

Cest désormais possible. Il existe en effet des technologies qui spatialisent les espaces thématiques dans leur globalité et qui permettent une exploration contrôlée. Cest ce que propose la plateforme Gargantext développée par le CNRS (http://gargantext.org). Les termes sont extraits et regroupés selon leurs contextes d'apparition ou dusage puis projetés dans une interface dexploration graphique. L'exploration devient contrôlée, l'explorateur ne subit plus le chemin mais exploite lespace des possibles par la visualisation de la masse de connaissances, la carte des territoires cognitifs en quelque sorte. Le code de ce logiciel est libre, disponible, il peut être lu et exécuté par quiconque en respecte les termes dans la volonté dune science ouverte des algorithmes libres.

Une première industrie digitale a fondé son succès sur le secret de lalgorithme privateur de libertés, la boîte noire, profitant dutilisateurs captifs de leurs usages. Désormais, le succès se fonde sur la confiance en la connaissance partagée du mode de calcul, par le partage dun protocole ; cest une convention de calcul qui permet la coordination cognitive pour établir la confiance. Cest le principe même de la crypto-économie, fondée sur la blockchain par exemple (ou les Smart Contrat chiffrés comme Ethereum qui lui succèdent déjà) : cest le partage dun mode de calcul comme convention et consensus qui permet létablissement dune valeur. Son caractère infalsifiable se fonde sur un calcul difficile dans un sens mais facile à vérifier dans lautre. En partageant ouvertement la procédure, le principe gagne en crédibilité, en utilisabilité et en valeur, la période dexercice de léchange coïncide avec létat de lart cryptographique partagé par tous.

Aussi, linternaute est confronté à toujours plus de données, dalgorithmes différents pour orienter ses décisions quotidiennement. Ses données lui appartiennent et les algorithmes devront lui être connus : cest une orientation légale à court et moyen terme. Pour autant, arrivera-t-on à décoder lindécodable, sera-t-il déjà trop tard face à linertie de nos habitudes ? Framasoft met déjà en place toute une série doutils pour soigner notre dépendance aux technologies devenues incontournables par la force de lusage, avec par exemple : https://degooglisons-internet.org/. Pendant longtemps, le logiciel était fermé, la boîte résolument noire comme le livre était fermée, illisible, intraduisible, ininterprétable. Désormais, il convient douvrir le code, de le lire, de le modifier et de lexécuter. Désormais, dans un contexte de données massives, nous nous rendons compte que coder est à compter ce quécrire est à lire.