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post Le web et les préjugés : pourquoi donner accès à plus dinformation ne rend pas les gens plus raisonnables (tout au contraire)
Arnaud Chaput
2017-09-12 Le web et les préjugés Si Internet favorisait non linformation, mais la désinformation ? Et si, pire, Internet ne facilitait en rien la naissance dune information pure et parfaite, mais au contraire la confrontation stérile de points de vue.
Génie Digital

Pour peu que lon parte du principe simple que le citoyen fait les mauvais choix parce quil est mal informé (logique à lorigine de la représentation du rôle de la presse libre dans les démocraties), alors Internet devrait sonner le début dune ère de connaissance pure, et de triomphe de la vérité scientifique. Et là apparaissent les fake news, et tout seffondre.

Avec un culot monstre, Trump détourne Twitter de sa vocation première : faciliter linformation par sa fluidification.

Manifestement, les mensonges ou à tout le moins les accommodements avec la vérité ne se sont jamais aussi bien portés. Et pourtant, tous les outils de dénonciation des complots, fantasmes, contre-vérités sont disponibles sur le web. Il y a là un paradoxe qui heurte lintuition voulant que le savoir soit la mère de la conscience, et que la conscience soit la mère de la concorde.

Et si Internet favorisait non linformation, mais la désinformation ? Et si, pire, Internet ne facilitait en rien la naissance dune information pure et parfaite, mais au contraire la confrontation stérile de points de vue, et la vivification de points de vue fantasmagoriques ?

  1. Il ny a rien de très original à dire que le web donne une tribune à tout le monde, zozos comme experts, et que se retrouver dans le magma de linformation na rien de simple.

  2. On peut identifier plusieurs dynamiques :

    • La première est un effet « agora » : Internet offre une tribune à peu de frais, dont laudience naturelle nest cependant pas nécessairement folichonne…

    • La deuxième est leffet « loupe » : … audience que boostent les moteurs de recherche en les rendant audibles (exemple : si je fais une recherche sur « complot illuminati argent », lami Google me sort 250 000 résultats, à la louche). On peut toujours trouver sur le web quelque chose qui valide ce que lon pense et qui apporte la preuve quon nous ment. Et Google aide dautant plus à valider ses croyances que celles-ci sont précisément libellées sous la forme dune request.

    • La troisième est un « effet silo » : les sites sont « spécialisés », de telle sorte que lon trouve présentés avec équanimité les différents points de vue. Seul, à la rigueur, Wikipédia offre ce genre de méta-information, minimisant leffet cadrage jouant sur la manière dont linformation est comprise et reprise (« le complot des chats contre lhumanité est reconnu par un agent du FBI » et « un agent du FBI révoqué pour démence sénile reprend la vieille antienne du complot des chats » nont pas le même effet sur la manière dont on comprend le complot des chats…).

    • La quatrième est le classique effet « rebond » (lun de mes biais cognitifs préférés) : plus on essaie de vous convaincre que vous avez tort, plus vous pensez avoir raison. Leffet est dautant plus net que celui qui veut vous convaincre laisse entendre que, si vous ne vous rendez pas à ses arguments, vous êtes un trou-du-cul ignare et indigne davoir voix au chapitre (on trouvera dans le Manifeste de Brunswick lune des premières expressions célèbres de leffet rebond…).

    • La cinquième est un effet « fainéantise » : autant je suis disposé à trouver des informations qui valident ce que je pense, autant je serai un peu plus flemmard pour rechercher et comprendre des informations contradictoires.

    • La sixième renvoie à des heuristiques : dans la mesure où lesprit humain nest pas un microprocesseur froid mais bien une machine à rationalité limitée et chaude, il est habitué à sélectionner les informations de manière à pouvoir agir rapidement. Et cest là que se noue le drame : plus vous avez accès à de linformation, plus, donc, vous êtes saturé dinformation, plus les mécanismes de sélection de linformation vont jouer. Donc plus de nombreux biais cognitifs sont excités.

  3. Vous laurez compris, pour peu que ces effets soient valides, alors jouent en arrière-plan les multiples biais cognitifs dont lesprit humain est coutumier. Des effets que, par la subtile industrie dun paradoxe apparent, la surabondance de linformation va exciter et qui, compte tenu de la manière dont sorganisent linformation et son accès sur le web, vont faciliter la cristallisation de « vérités alternatives ». Ainsi, le militant anti-vaccin saura quil peut trouver des études tendant à mettre en évidence leur innocuité, mais il partira du principe quelles ne méritent pas dêtre consultées.

  4. Collectivement, il en résulte donc, en toute vraisemblance, un effet radicalement opposé à celui que lon attend de laccès possible à la grande conscience mondiale quest le web : le recul de la rationalité, laccroissement de la place des croyances, laggravation des « polarisations » et, peut-être, in fine, un effet proprement « polémogène », au sens littéral : générateur de guerre. La société de lhyperinformation tend donc à se confondre avec la société des préjugés et des déviations par rapport à la Raison.

  5. De même que créer des bibliothèques na jamais suffi à faire lire les gens, la mise à disposition de linformation et de la connaissance en ligne ne garantit en rien lavènement de la conscience et de la concorde universelle. Tout au contraire le web apporte-t-il son lot doutils aux effets pervers. Trop souvent lui accorde-t-on des vertus magiques, dont il est dépourvu. Il nest quartefact, un ensemble doutils que lon peut manier à bon ou à mauvais escient. Dans le paysage, un instrument doit cependant retenir lattention, malgré ses imperfections : Wikipédia. Il offre un accès « non siloté » au savoir en proposant lensemble des points de vue sur un sujet. Par sa démarche encyclopédique et les contraintes rédactionnelles quil impose, il met à disposition un espace minimisant les invectives, labsence de sources, les croyances et leffet rebond. Il incarne un idéal, socratique, humaniste. Il est lun des seuls outils à proposer un chemin vers la connaissance sous tous ses états possibles, à nourrir lesprit et à briser les préjugés. Et il ne serait donc pas absurde, compte tenu de cette singularité, de décerner le prix Nobel de la paix à la fondation Wikimédia.