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2017-08-28 12:29:58 +08:00

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layout: post
title: Neurodivergence
authors: Fabienne Cazalis
date: "2017-04-20"
slug: "neurodivegrence"
description: "Ces contraintes que nos sens et nos émotions imposent à notre intelligence peuvent entrainer des complications… imperceptibles."
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### Lintelligence portée par les sens
Les spécialistes de lintelligence saccordent pour affirmer quil nen existe aucune définition universelle. Nous utiliserons donc celle qui nous a paru la plus simple, à savoir que lintelligence est la façon dont un individu appréhende et comprend son environnement. Ce qui nous intéresse ici, cest de saisir que quelles que soient nos capacités intellectuelles, notre compréhension du monde est conditionnée par nos sens.
Comment est-ce possible ? On conçoit facilement, par exemple, que comme nous ne percevons ni linfiniment petit, ni linfiniment grand, il nous est impossible de nous en faire une représentation juste. Mais même si lon sen tient aux stimuli que nous sommes physiquement capables de détecter (sons, images, odeurs, etc.), lenvironnement sensible reste si vaste quil est humainement impossible de le percevoir dans sa totalité, den saisir tous les détails. Nous navons accès, à chaque instant, quà une fraction de notre environnement.
Pour compliquer un peu plus la situation, les mécanismes cérébraux de lattention sont tels quils imposent des contraintes fortes sur nos capacités perceptives. Or, ces mécanismes de régulation et dorientation de lattention dépendent fortement de notre état desprit et de nos émotions. Voici des exemples de ces contraintes : lorsque nous trouvons une fleur ravissante, notre attention sy focalise et nous rend capables de percevoir ses nombreuses nuances de couleur, de texture, de forme et de parfum ; inversement, si nous sommes sous le coup dune peur panique, nous éprouvons une vision « tunnellisée », cest-à-dire que nous ne pouvons plus voir que ce qui est au centre de notre champ de vision, tandis que les informations à la périphérie deviennent inaccessibles.
### Lillusion dun monde consensuel
Ces contraintes que nos sens et nos émotions imposent à notre intelligence peuvent entrainer des complications… imperceptibles. Prenons le cas de deux individus, appelons-les Thanh et Cédric, avec leurs états desprit respectifs. Ils peuvent tout à fait se trouver dans la même pièce et en percevoir des informations très différentes. Ils nen sont pas conscients, car ils détectent tous deux suffisamment déléments en commun pour leur donner lillusion quils ont perçu la même chose. Mais cette illusion est trompeuse et génératrice dincompréhensions.
En réalité, Thanh et Cédric ne vivent pas exactement dans le même monde, mais ils ont en commun un monde consensuel, composé des éléments quils ont perçus tous les deux. En revanche, quand bien même ils seraient dans des états desprit similaires, Thanh et Cédric ne pourront jamais percevoir tous les deux exactement la même chose, sans forcément prendre conscience de ce hiatus inéluctable.
On comprend comment deux individus peuvent en arriver à avoir des interprétations opposées dune même situation, sans que lun ait tort et lautre raison, parce quau fond ils croient parler de la même situation mais en réalité, ils parlent de deux situations différentes puisquils ne disposent pas des mêmes éléments.
Mais cela nest pas tout : non seulement les humains ne sont pas tous équipés des mêmes outils sensoriels (certaines personnes ont lodorat très fin, dautres une vue perçante), mais en plus, la façon dont le cerveau va traiter ces informations dépend du nombre de neurones dédiés à ce traitement, et là encore, nous ne sommes pas égaux dans la grande distribution génétique qui sous-tend larchitecture cérébrale. Lexemple de la musique permet de bien saisir cette notion : certains cerveaux ont la capacité de percevoir des nuances de son là où dautres nentendent aucune différence.
En bref, lintelligence est conditionnée par nos sens, par la puissance des centres de calculs neuronaux, et par lhumeur et létat desprit dans lesquels nous nous trouvons. En dautres termes, le monde tel que nous le percevons traduit notre attitude et notre singularité, soit notre façon dêtre au monde.
### Intelligence et normalité
De même quil nexiste pas deux visages identiques, il nexiste pas deux cerveaux identiques. Cest cette variabilité qui fait notre singularité. Toutefois, pour la majeure partie de la population, cette variabilité est marginale, dans le sens où les différences cognitives et perceptives entre deux individus ne pèsent pas lourd comparativement à tout ce quils ont en commun. Lexemple du Quotient Intellectuel de Wechsler (une échelle de mesure des capacités intellectuelles, la plus utilisée, même si ce nest pas la seule) permet de bien saisir cette notion. Comme on peut le voir sur la courbe ci-dessous, 82,2% de la population présente un QI entre 80 et 120, ce qui est considéré comme la normale.
![courbe de normalité]({{ site.urlimg }}/posts/courbe_de_normalite.png)
Il est essentiel de saisir que nous parlons ici de normalité statistique. En aucun cas, il ne devrait sagir dune évaluation de la valeur des individus. Hélas, ce terme de normalité est trompeur et évoque une notion de standard de référence, facilement interprété comme un idéal à atteindre. En dautres termes, parler de normalité est, quon le veuille ou non, normatif.
Il serait plus juste de parler de banalité, dans le sens où il est banal dinteragir avec un humain dont le QI de Wechsler se situe entre 80 et 120 (puisque, sur 100 personnes, plus de 82 obtiennent ce score), et moins banal dinteragir avec un individu dont le QI de Wechsler est inférieur à 70 (seulement 2,2 personnes sur 100). On pourrait comparer avec la courbe des tailles : 90% des hommes occidentaux mesurent entre 1,65m et 1,85m. Il est donc banal dinteragir avec un homme mesurant 1,75m et moins banal avec un homme mesurant 1,95m. Les individus très grands ou très petits constituent donc des variations extrêmes par rapport la moyenne de la population.
Dans la limite de nos outils conceptuels et de nos instruments de mesure, les capacités cérébrales peuvent être étudiées et décrites en termes de fréquence dans la population, aboutissant généralement à une représentation sous forme de gaussienne, dite courbe de normalité, comme la courbes en cloche présentée ci-dessus.
Pour toutes ces capacités, on va retrouver une majorité dindividus proches de la moyenne et une minorité dindividus soit très en dessous soit très au-dessus de cette moyenne. Réciproquement, pour un individu donné, on peut retrouver certaines capacités dans la moyenne tandis que dautres capacités seront très en dessous ou très en dessus. On parle alors de profil hétérogène, par opposition au profil homogène dun individu dont toutes les capacités sont situées dans la même zone de la gaussienne.
En ce qui concerne lintelligence, au sens où nous lavons définie (et qui ne doit en aucun cas être confondue avec le QI, qui ne représente quune portion de tout ce qui constitue lintelligence), nous trouvons particulièrement intéressant de nous pencher précisément sur ceux qui sont aux extrêmes des courbes, ceux qui ne rentrent pas dans la norme. Cet intérêt nous a menés au concept de neurodiversité.
### Eloge de la variabilité
Le terme de neurodiversité nous vient de la communauté des autistes, qui, lassés que leur anormalité statistique soit interprétée comme une somme de déficiences, revendiquent au contraire leur différence comme une variation de lintelligence humaine. Pour comprendre cette posture, il faut savoir que si, sur de plusieurs dimensions de lintelligence, les autistes présentent des capacités significativement inférieures à celle de la population neurotypique (les individus qui sont au centre de la courbe en cloche), ils disposent également de capacités cognitives et perceptives exceptionnellement supérieures.
Ces profils intellectuels plein dextrêmes sont donc potentiellement source de handicap comme de promesses. Si on reprend la notion que lintelligence est conditionnée par nos sens, les autistes, dont une des caractéristiques est davoir des capacités perceptives particulièrement aiguisées, ne vivent pas dans le même monde. On a longtemps dit deux quils vivaient dans leur monde, ce qui, suivant notre raisonnement, nest pas faux mais incomplet.
Il serait plus juste de dire quils vivent dans un monde plus intense et riche dinformations que celui des neurotypiques. Ils disposent par ailleurs de capacités cérébrales de calcul leur permettant dassimiler ces informations et den tirer des conclusions originales et pertinentes, que nous aurions tout intérêt à considérer avec le même sérieux que nous considérons les conclusions proposées par tout un chacun.
Avec le temps, le mouvement de la neurodiversité intègre peu à peu tous les individus qui présentent de grandes variations cognitives par rapport à la normale, comme les personnes à haut potentiel intellectuel (soit un QI de Wechsler supérieur à 135, groupe dans lequel on retrouve dailleurs de nombreux autistes de haut niveau), les individus qui présentent un TDA/H (trouble déficitaire de lattention avec ou sans hyperactivité, que lon retrouve aussi chez de nombreux autistes), les personnes qui ont des troubles des apprentissages (dyslexie, dysgraphie, dyspraxie, dyscalculie…). Tous ces groupes humains ont en commun de présenter simultanément des capacités intellectuelles très en dessous de la moyenne et dautres très en dessus. Nous pourrions, si ce terme nétait pas chargé négativement, les appeler affectivement « nos mutants » ; nous préférons les nommer « les neurodivergents ».
### Un réservoir à idées nouvelles
De par leurs aptitudes peu banales, les « neurodivergents » perçoivent le monde différemment, ce qui leur donne la capacité de remarquer ce que personne ne voit, de saisir des nuances imperceptibles pour le commun des mortels, de les analyser avec des outils cognitifs originaux, et den tirer des conclusions auxquelles personne dautre naurait pu aboutir. Si seulement nous sommes capables de les entendre !
Certes, les capacités de communication des autistes ne sont pas aussi performantes que celles des neurotypiques, mais elles ne sont par pour autant absentes (même chez les autistes non verbaux, la communication peut se faire par gestes, parfois par écrit).
Il me semble parfois que ce sont les préjugés, bien plus que le handicap, qui entravent les échanges authentiques entre autistes et neurotypiques. Cest particulièrement désolant si on considère que les capacités « neurodivergentes » peuvent se révéler vitales pour lespèce humaine car lorsquune situation inédite se présente, et notamment une situation de danger, il faut inventer des solutions nouvelles. Et qui mieux que ceux qui ne pensent comme personne pour proposer des idées originales ?